L'affaire de «La Chasse spirituelle»





  1. Présentée comme un inédit de Rimbaud, La chasse spirituelle parut en 1949 au Mercure de France. Histoire de l'une des plus fameuses supercheries littéraires de ce siècle.

  2. Je viens de relire La Chasse spirituelle, parue en 1949 sous le nom d'Arthur Rimbaud. Et je n'éprouve aucun remords d'avoir cru en son authenticité. Cette supercherie est certainement une des plus connues de l'histoire littéraire du siècle. Une des plus durables aussi, car on en parle encore après en avoir oublié bien d'autres. Et pourtant, disait Akakia Viala, l'un des deux auteurs de La Chasse spirituelle, le 24 mai 1949 : « Nous avons seulement voulu "canularder" quelques camarades. C'était une farce d'atelier qu'on pensait innocente. » Elle ne l'était pas. La personnalité de ceux qui y furent mêlés, et des querelles de personnes que n'avaient pas prévues les pasticheurs, en firent ce qu'un universitaire américain, Bruce Morrissette, a appelé La Bataille Rimbaud. On peut résumer l'« affaire » en peu de mots. Le 19 mai 1949, la page littéraire de Combat dirigée par Maurice Nadeau publie des extraits d'un inédit de Rimbaud, La Chasse spirituelle, avec une préface de Pascal Pia. Le livre, achevé d'imprimer l'avant-veille, paraît en même temps au Mercure de France. A la seule lecture de ces extraits, André Breton crie à l'imposture.

  3. Deux jeunes comédiens revendiquent alors la paternité du faux qu'ils avaient confié sous le sceau du secret à un jeune libraire, Marcel Billot. Ils ignoraient que celui-ci l'avait porté aussitôt à Maurice Saillet, qui tient alors la librairie d'Adrienne Monnier, rue de l'Odéon, mais est aussi et surtout critique au Mercure de France et publie sous le pseudonyme de Justin Saget des « Billets doux » sarcastiques dans Combat. Saillet s'est empressé de montrer sa découverte à Adrienne Monnier, à Pascal Pia, à Maurice Nadeau, à Sylvestre de Sacy, directeur des éditions du Mercure de France : aucun ne met en doute l'authenticité du texte, et ils décident la publication de la Chasse spirituelle. Elle restera, écrit aujourd'hui Maurice Nadeau, « une casserole que, de loin en loin, de valeureux confrères ne font pas faute de m'accrocher aux chausses ».

  4. L'« affaire » occupera la presse durant plusieurs semaines, et rebondira encore quand André Breton publiera au mois de juillet Flagrant délit, un pamphlet qui vise surtout Maurice Saillet (qui avait échenillé les Poèmse d'André Breton dans leMercure de France du 1er avril) et Maurice Nadeau (qui après avoir publié une Histoire du Surréalisme tolérée par André Breton avait peut-être eu tort d'annoncer la venue d'« Un nouveau précieux », dans Combat du 10 février). On cognait fort à cette époque, et parfois au-dessous de la ceinture, mais il y avait alors autant de passion dans la « vie » littéraire qu'aujourd'hui de cirage de pompes.

  5. De mon côté, contre Flagrant délit je publie en décembre, sous le titre Simple police, une dizaine de pages assez vaseuses qui ont échappé à Bruce Morrissette : elles prouvent seulement que plus de six mois après le scandale, je croyais encore à une certaine authenticité de la Chasse spirituelle. Et j'attends toujours qu'apparaisse le manuscrit de la vraie Chasse spirituelle, comme l'attendirent Pascal Pia jusqu'en 1979, Maurice Saillet jusqu'en 1990, et Maurice Nadeau peut-être, à qui Emmanuel Peillet écrivait en 1949 : « Défendez-vous ! j'étais là, je suis prêt à dire que vous n'étiez qu'à moitié convaincu » ; mais, dit Maurice Nadeau aujourd'hui, allait-il «lâcher ses amis » ?

  6. Nous ne sommes plus très nombreux à avoir vécu cette « affaire » au jour le jour, et je suis sûr que les derniers anciens combattants de 1949 sont comme moi légèrement agacés lorsqu'ils lisent des articles plus ou moins sérieux sur la Chasse spirituelle : il semblerait qu'elle, et elle seule, ait fait cette année-là l'effet d'une bombe dans le ciel serein de la vie littéraire. Pour qui s'intéresse davantage aux pastiches et aux supercheries qu'à l'œuvre de Rimbaud, ce n'est pas inexact. Que les éclaboussures entachent encore la mémoire de Pascal Pia, de Maurice Saillet (et d'Adrienne Monnier qu'on cite rarement, mais qui elle aussi a «marché »), c'est vrai. Mais on n'imagine plus aujourd'hui à quel point nous baignions dans une atmosphère rimbaldienne. De Rimbaud et sur Rimbaud, il paraissait des livres tous les mois, et non des moindres.

  7. L'année 1946 avait vu paraître dans la Pléïade la première édition tant attendue des Œuvres complètes de Rimbaud, desDocuments iconographiques réunis par François Ruchon, le Rimbaud tel que je l'ai connu de Georges Izambard etRésonances autour de Rimbaud de Marguerite Yerta Méléra. En 1947, après Pascal Pia, Jules Mouquet et Maurice Saillet publiaient en revues des extraits de l'Album zutique qu'on ne pouvait toujours pas lire intégralement.

  8. En 1948, Rimbaud l'enfant de C.A. Hackett, Rimbaud et Verlaine vivants de Robert Goffin, Arthur Rimbaud, homme de lettres de Daniel De Graaf ; au Concours des jeunes Compagnies était présentée au mois de mai une adaptation théâtrale d'Une saison en enfer due à Akakia Viala et Nicolas Bataille, puis le 17 novembre à Charleville, et du 14 au 23 décembre à Paris, à la Maison de l'Université.
  9. En 1949, le bruit courut qu'on avait retrouvé quarante mille vers (pas moins) de Rimbaud en Abyssinie... ParaissaientRimbaud, le drame spirituelde Daniel Rops, un Arthur Rimbaud de Claude-Edmonde Magny dans la collection « Poètes d'aujourd'hui », Rimbaud, le magicien désabusé de Pierre Debray, Autour de Verlaine et de Rimbaud de J.M. Carré...

  10. Et le 19 mai 1949, la Chasse spirituelle dans Combat et aux éditions du Mercure de France.

  11. Mais le véritable coup de tonnerre, qui fut un moment éclipsé par La Chasse, eut lieu exactement deux jours après, le samedi 21 mai : Henri de Bouillane de Lacoste (« superbe nom à deux arches », raillait André Breton. 
  12. « Couillonne de Ballast », insistait Peillet) présentait en Sorbonne sa thèse : Rimbaud et le problème des « Illuminations », et publiait en même temps le volume complémentaire, l'édition critique d'Illuminations, au Mercure de France. Confirmant ce que Verlaine avait dit, de Bouillane de Lacoste apportait les preuves qu'Une saison en enfer avait été écrite avant lesIlluminations. Et c'est bien dans cet ordre chronologique rétabli que depuis sont publiées les œuvres de Rimbaud, contrairement à ce qu'avaient jusque-là prétendu Isabelle Rimbaud et Paterne Berrichon. Dans les querelles rimbaldiennes, celle d'un Rimbaud « mystique à l'état sauvage » tel que le voyait Paul Claudel, était la plus âpre. J'étais de ceux qui préféraient le Rimbaud ricanant sur le passage des prêtres, à celui que sa sœur convertissait sur son lit de mort.

  13. On a vu qu'au milieu de cette avalanche de publications rimbaldiennes, apparaissait de mai à décembre 1948 l'adaptation théâtrale d'Une saison en enfer par Akakia Viala et Nicolas Bataille. Elle n'était pas nouvelle: le mouvement Art et Action l'avait déjà montée en 1928 et en 1930 (et elle fut reprise encore, mais cette fois sans faire scandale au Théâtre de Poche en novembre 1949, le 22 novembre 1954 à la Sorbonne et le 28 novembre 1966 au Théâtre du Tertre). Je traversais alors une période difficile et grâce à mes amis Jean Lods et André Bureau j'étais entré en 1948 à l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (IDHEC) en qualité d'aide ou de sous-aide bibliothécaire, rue de Penthièvre. La bibliothécaire était Akakia Viala. Je vivais quotidiennement auprès d'elle, et nous parlions bien sûr beaucoup de cinéma, de Rimbaud naturellement, et de nos amis communs Adrienne Monnier et Maurice Saillet. Bruce Morrissette raconte (p. 196) que j'aurais « retourné » à Akakia une carte d'invitation « barbouillée d'une citation de Rimbaud ». C'est faux : j'ai toujours ma carte d'invitation (elle « invitait » d'ailleurs chacun à payer son entrée) et je n'ai pas eu à retourner cette carte que je n'avais pas reçue par la poste, mais en mains propres. Il y avait une pile de cartes sur le bureau d'Akakia Viala et je me suis servi de l'une d'elles le lendemain de la représentation à laquelle j'avais assisté, à l'intention d'Akakia qui ce matin-là se reposait de sa soirée de la veille. Je lui conseillais notamment de « renvoyer obligeamment selon les occases les " Loyolas " — qui rappliqueraient ? » (d'après une lettre de Rimb à Delahaye, de 1875, que je citais de mémoire). Akakia, sans malice, donnait des sobriquets à tout le monde : pour elle, j'étais « Lodi », je n'ai jamais su exactement pourquoi. Et « Loyola » était un surnom qui convenait parfaitement à un étudiant de l'IDHEC à l'onction cauteleuse : je prévenais Akakia que ce « Loyola » allait venir la taper de places gratuites. Elle comprit fort bien, ainsi que ma critique : « Quand en aura-t-on fini avec ces nom de dieu de ratichons ? » et elle se dit préoccupée et troublée du reproche que plusieurs amis lui avaient fait de cautionner l'interprétation claudélienne d'Une Saison. Elle s'en défendit très vivement et se plaignit de ne pas avoir été comprise.

  14. L'idée seule que l'on puisse « adapter » Une saison en enfer sur scène ou autrement scandalisait déjà plus d'un rimbaldien : ce sont ceux-là, parmi lesquels Maurice Saillet et Adrienne Monnier, qui refusèrent même de se déplacer. Et faire jouer le texte par quatre comédiens identiques et masqués incarnant quatre aspects du poète, en choquaient aussi beaucoup d'autres. Les débats qui suivaient le spectacle étaient houleux.

  15. Mais les bornes furent franchies par Louis Aragon qui, faisant allusion au Concours des jeunes Compagnies du mois de mai, écrivait dans sa préface aux grotesques Poèmes politiques de Paul Eluard qui paraissaient à ce moment?là : «Ces jours derniers, il s'est trouvé des comédiens pour porter à la scène Une saison en enfer: rien, à ce qu'on dit, n'y est épargné pour montrer l'enfer rimbaldien. Ni les diables, ni les flammes, ni les broches, les rôtissoires. On mesure par là la piètre idée du langage qui a cours en plein XXe siècle, la tristesse des mots pris au pied de la lettre, l'ignorance de ce qu'est l'image, de ce que parler veut dire.»

  16. Akakia, qui avait de la verve, outrée de cette mauvaise foi, écrivit un court et violent article en réponse, sous le titre « Quand M. Aragon voit Une saison en enfer avec les yeux d'Elsa Poppin ». Mais aucun journal, aucune revue n'accepta de l'insérer.

  17. Akakia jura de faire payer cher à Aragon sa perfidie. Et le plus cocasse, c'est que ce fut André Breton qui désamorça le canular, avant qu'Aragon et les Lettres françaises aient eu le temps de marcher dans la mystification... Quel dommage : je le regrette encore.

  18. Nous étions à la veille de Noël. J'étais vraiment trop mal payé et je quittai l'IDHEC au début de 1949 pour reprendre mon métier de typo dans la cave d'un pavillon de banlieue, à Massy-Verrières. Je ne vis plus Akakia que de loin en loin. Quand elle me fit parvenir plus tard, en 1954, le tiré à part de la Chasse spirituell parue dans la Table ronde, elle ne le dédicaça pas à Lodi, mais « à Monsieur F. Caradec ». Elle croyait sans doute, comme beaucoup d'autres, que je lui en voulais d'avoir lancé ce pavé dans la mare ; ce n'était pas ma façon de voir les choses. Car le plus stupide en cette « affaire » fut qu'Akakia Viala et Nicolas Bataille firent dès le premier jour figures d'accusés !... Seul Nicolas Bataille eut sa revanche trois ans plus tard, et quelle revanche ! en mettant en scène la Cantatrice chauve de Ionesco au Théâtre de la Huchette...

  19. Il me reste à répondre à ceux qui me demandent encore pourquoi, moi et un certain nombre d'autres qui semblent l'avoir oublié, nous avons cru à l'authenticité de la Chasse spirituelle.

  20. On connaissait l'existence d'un texte perdu de Rimbaud portant ce titre, en prose et en cinq parties. Stanislas Fumet, le 21 mai 1949 sur le Poste Parisien, exprima ce que tout le monde a ressenti : « ... en ouvrant Combat, j'ai été extrêmement surpris. Je me suis dit, la Chasse spirituelle, mais c'est évidemment formidable. Dieu sait si depuis notre jeunesse nous rêvons de cette Chasse spirituelle, et ce titre si beau nous laissait tout imaginer. »

  21. Il faut aussi écouter André Breton lui-même dans sa lettre à Combat du 19 mai : « Il n'est pas un " rimbaldien " véritable dont l'émotion, à découvrir ce matin la page littéraire de Combat, n'ait dû faire place presque aussitôt à l'inquiétude, pour se muer peu après en indignation. » Et c'est bien ce que j'ai ressenti moi-même : plus que la « surprise » de Stanislas Fumet, l'émotion, qui me fit courir rue de l'Odéon à la librairie d'Adrienne Monnier pour acheter la Chasse: Maurice Saillet m'en avait réservé un exemplaire hors commerce, non numéroté. Contrairement à André Breton, mon émotion n'a pas fait place ensuite à l'inquiétude, ni à l'indignation. Voilà mon erreur. Je remarque en passant que personne alors n'a accueilli la Chasse spirituelle avec hilarité ; les sarcasmes ne sont venus que plus tard.

  22. Henri Béhar résume ainsi la position prise par André Breton dans Flagrant délit: « Aimer d'abord, ressentir la beauté, telle est la qualité première exigée du critique. S'il étrille sévèrement les critiques compromis dans l'affaire Rimbaud, c'est moins pour leur ignorance, leur duplicité et leur incompétence que pour leur absence de sensibilité. » Et Henri Thomas : « Entre Rimbaud et n'importe quel pastiche de Rimbaud, il y a une différence, et qui ne l'éprouve pas, c'est que la poésie ne passe pas jusqu'à lui » (Cahiers de la Pléïade, automne 1949). Après ça, j'ai bonne mine...

  23. Quand on relit les « phrases » extraites de la Chasse spirituelle publiées dans cette fameuse page de Combat, on les trouve, en effet, un peu faibles : « Oh ! les vignettes pérennelles !/Et le poète soûl engueulait l'Univers./Il pleut doucement sur la ville. /Prends-y garde, ô ma vie absente! »

  24. Je vous prie d'excuser ma confusion. Je fais erreur : les quatre phrases que je viens de citer sont des « Bribes » qui figurent à la page 222 des Œuvres complètes de Rimbaud dans la Pléïade... Celles qu'a publiées Combat[i] sont tout de même de meilleure venue : «J'ai pleuré jadis sur de vains attachements. Je ne crois/ pas à la famille, aux devoirs, aux bonheurs garantis/ par l'estime. (...)/ Après les effrois extatiques, je vois franchement les/draps blancs, l'escale rutilante de quelque fièvre,/les plaies adorables, les tisanes mortuaires des vieilles/balbutiantes, la miséricorde des injuriés de jadis. /Ni regrets ni démence désormais. /La mort sanctifiée à leur manière. Ce n'était pas/la mienne. (...)/Je rêverai cheval. J'adorerai le bouc sacré,/les chats griffus miaulant de convoitise. (...) »

  25. « Les références qu'on peut établir d'un texte à l'autre sont nombreuses», écrit Pascal Pia dans sa préface. Et il cite quelques exemples, parmi lesquels: « Les femmes guettent les invalides avec gratitude » ([i]Chasse) ; « Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds » (Saison) ; « Des chansons niaises groupaient des rondes dans ma tête » (Chasse) ; « J'aimais les peintures idiotes... la littérature démodée... refrains niais, rythmes naïfs (Saison), etc. Et il ajoute: « On pourrait multiplier ces citations, voire les affirmations symétriquement divergentes » : « Je suis bien d'ici » (Chasse); « Je ne suis plus au monde» (Saison).

  26. Et mon lecteur de s'écrier : « Mais oui, mais c'est, bien sûr... Les pasticheurs avaient lu Une saison en enfer ! » Ils avaient mieux fait que la lire, ils la savaient par cœur et la disaient sur scène tous les soirs. Ils en avaient le souffle, ils en savaient les rythmes, ils l'avaient dans la bouche et dans l'oreille...

  27. Seulement, le paradoxe était là : si la Chasse spirituelle était authentique, on savait qu'elle avait été écrite au plus tard en juillet 1872, et donc « avant » Une saison en enfer, datée d'avril?août 1873 ; c'était alors Une saison qui pouvait rappeler le ton de la Chasse antérieure, et non l'inverse...

  28. On en arrivait à chercher des arguments, pour ou contre l'authenticité, dans le texte lui?même. Les « becs-de-gaz des quartiers sans espoir » ? Il n'y avait pas de becs-de-gaz à Paris en 1872, argumentait Jean Marcenac dans les Lettres françaises; mais il y en avait pourtant dans les Chants de Maldoror et dans toutes les villes de France. Ou encore : Rimbaud ne faisait pas de fautes de français (« Je rêverai cheval, ... Je titube les soixante vies du cycle »)... Ou encore : la sixième partie que les pasticheurs s'étaient engagés à écrire sur un thème imposé, « Amours bâtardes », n'est pas « très convaincante », leur écrit Henri Parisot qui, demeurant « incapable d'opter pour l'une ou l'autre alternative », se console en reconnaissant dans la Chasse, « en tout état de cause, une œuvre poétique attrayante ». Bref Akakia Viala et Nicolas Bataille, qui aiment Rimbaud et veulent l'innocenter d'un texte qu'ils savent être un faux, ont beau se dépenser, on ne les croit pas ! 

  29. En réalité, mais seul André Breton le disait à haute voix dès le 19 mai, c'est la présence d'une préface de Pascal Pia qui a éveillé les soupçons. Comme si l'habile pasticheur qui avait trompé autrefois les « spécialistes » de Baudelaire, de Radiguet ou d'Apollinaire, eût été assez naïf pour signer de son propre nom une nouvelle mystification! « Cette fois, M. Pascal Pia exagère », écrit André Breton, après avoir admis que « les mystifications littéraires ne sont pas toujours dénuées de charme et je me souviens, en particulier, de « Poèmes libres d'Apollinaire » qui, pour ne pas être dus à cet auteur, n'en singeaient pas moins brillamment la griffe ». Quant à René Louis Doyon : « Pour moi (...), il n'y avait pas à hésiter : dès l'instant que Pia se mettait en avant, le texte était suspect » (Mémoire d'homme, 1953). Et tout récemment, en 1984, Jean-Pierre Goldenstein : « la supercherie littéraire montée par Akakia Viala et Bataille (ou par Pascal Pia lui-même, certains le chuchotent) », pourquoi pas ? « lui-même grand pasticheur devant l'Eternel... », ce qui ne prouve qu'une chose, la méconnaissance des rapports que Pascal Pia entretenait avec le Grand Objet Extérieur.

  30. Et j'en viens tout bêtement à me demander quel eût été le sort de la Chasse spirituelle si Pascal Pia ne l'avait pas préfacée et — surtout ! — si Akakia Viala et Nicolas Bataille, « dépassés par cette histoire » (« Nous étions trop jeunes et un peu effrayés d'avoir déclenché une telle affaire », Magazine littéraire, février 1973) avaient préféré se réfugier dans le silence plutôt que de s'exposer au scandale dont on les tint pour responsables ? En reconnaissant qu'à côté d'Une saison en enferelle a le souffle un peu court, la Chasse spirituelle eut alors simplement pris place dans les œuvres complètes de Rimbaud, tout comme les faux douanier Rousseau dans les musées, le Cinquième livre de Rabelais dans les collections classiques, ou le Testament politique de Richelieu.

  31. Bibliographie

  32. Arthur Rimbaud. La Chasse spirituelle, éd. Mercure de France, (17 mai) 1949.
  33. Combat, 19 mai 1949.
  34. Bruce Morrissette. La Bataille RimbaudL'affaire de « La Chasse spirituelle » , éd. Nizet, 1959. 
  35. Akakia Viala et Nicolas Bataille. Comment on fait du Rimbaud (suivi de La Chasse spirituelle augmentée d'Amours bâtardes). La Table ronde, n° 54, juin 1954. Tirage à part sous le titre : La Chasse spirituelle, pastiche rimbaldien. Les mêmes textes figurent dans Le pont de l'Epée, n° 76, juin 1982. 
  36. Akakia Viala. Ce qu'on dit aux « assis » à propos du centenaire. Nombre d'or, Cercle Paul Valéry, n° 8, automne 1954.
  37. Nicolas Bataille. Une supercherie: la Chasse spirituelle, propos recueillis par E. de Roux. Magazine littéraire, n° 73, février 1973.
  38. Pascal Pia. Pour ou contre « La Chasse spirituelle »Carrefour, n° 246, 1" juin 1949.
  39. Maurice Nadeau. Grâces leur soient rendues (p. 230?232). Ed. Albin Michel, 1990.
  40. André Bretton. Flagrant délit, éd. Thésée, (6 juillet) 1949.
  41. Henri Béhar. André Breton, le grand indésirable (p. 396?398), éd. Calmann?Lévy, 1990.
  42. Catalogue de l'Exposition Rimbaud (n° 939 à 957 et 1134 à 1140), Bibliothèque nationale, 1954.
  43. Jean-Pierre Goldenstein. Vraies questions sur un faux texte. Pratiques, n° 42, juin 1984.


Commentaires

Articles les plus consultés